La valorisation du patrimoine architectural
et urbain
L’exemple de la ville de Ouidah au Bénin*
Alain S~ou**

LES FORMES DU PATRIMOINE BÂTI
Une cité ancienne
Ouidah, situé à proximité de la côte, possède une histoire particulièrement
riche. La cité s’est développée à partir du xvnc siècle avec le
commerce des esclaves. À son apogée, au XVII’ siècle, devenue le
comptoir du royaume du Dahomey, elle voit transiter dans les forts
anglais, français et portugais, plusieurs milliers d’esclaves par an. Au
XIX’ siècle, elle accueille de nombreux anciens esclaves ou descendants
d’esclaves venant principalement du Brésil (où ils avaient été envoyés
un peu plus tôt par les négriers). Artisans et commerçants, ils assurent
la prospérité de la cité et édifient des habitations qui s’inspirent de
l’architecture brésilienne. Avec la disparition du commerce des
esclaves, Ouidah devient un important marché d’échange de l’huile
* Cette recherche s’inscrit dans le prolongement d’un travail mené sur la même thématique
sur une autre ville ancienne de la côte du Bénin, Porto-Novo. Une convention a éte établie
entre I’Orstom et le Service d’études régionales d’habitat et daménagement urbain (Serhau),
qui a permis de mettre en commun des moyens financiers et du personnel français et béninois
(chercheurs et techniciens). Une équipe pluridisciplinaire a été montée, associant un architecte,
Monsieur Gnacadja, deux urbanistes, Messieurs Agbo et Capo, un historien. Monsieur Ahibodt;,
une sociologue, Madame Légonou, une anthropologue, Madame Tall, sous la direction
scientifique de Monsieur Sinou, architecte-urbaniste et docteur en sociologie de formation.
Cette recherche a abouti à la réalisation, début 1992, d’un rapport, ii Ouidah et SOIJ patrimoine I>,
diffusé par I’Orstom et le Serhau. Une version anglaise de ce texte a éte présentée à l’occasion
d’un congrès international organisé par la Banque mondiale à Washington en avril 1992 sur
le thème du patrimoine en Afrique. Les relevés d’architecture présentés dans cet article ont &é
elicectués par Monsieur Luc Gnacadja, architecte béninois.
** Orstom, 70-74 Route d’Aulnay, 93 143 Bondy, France.
Cah. Sci. Hum. 29 (1) 1993 : 33-51
Alain Sfmu
de palme. Des maisons de commerce européennes s’y fixent pendant
la deuxième moitié du xtx’ siècle. Avec la colonisation française, la
cité, bien que centre administratif secondaire, décline économiquement.
Les forces vives émigrent vers la capitale de la colonie, Porto-
Novo. et vers le port. Cotonou, qui devient progressivement, le
principal pole économique du pays.
À cette histoire mouvementée. s’ajoute la richesse anthropologique
de la cité, qui est avec Abomey, l’ancienne capitale du royaume du
Dahomey, le berceau des cultes vodoun. Ce système religieux reste
profondément présent encore aujourd’hui et se manifeste notamment
par de nombreux temples.
Ouidah n’est plus qu’une petite ville d’une dizaine de milliers
d’habitants aujourd’hui mais elle reste une mémoire de l’économie
de traite, qui a marqué toute une partie du continent africain, et
d’un système religieux encore très présent le long de cette côte et
qui s’est diffusé dans toute une partie de l’Amérique latine.
La notion de patrimoine bati est difficile à projeter dans le contexte
culturel africain et Béninois en particulier, tant ce concept se réfère
au monde occidental. De fait. nous nous sommes volontairement
limite à identifier les signes tangibles, bâtis, des traits culturels
rappelés plus haut, tout en sachant qu’une part importante de cette
culture ne se manifeste pas dans des formes construites mais dans
des pratiques.
En outre, cette société, comme de nombreuses sociétés africaines,
n’a pas le culte du monument et ne produit pas d’édifice commémoratif
d’un événement historique. Aussi, nous avons nous-même identifié
des sites rappelant une histoire et une société en fonction de criteres
scientifiques et aussi pragmatiques. Nous avons retenu d’abord les
sites dotés d’une fonction particulière representative d’une époque
donnée (par exemple le fort où étaient enfermés les esclaves ou les
bàtiments coloniaux) et les sites représentatifs d’une activité sociale
ou économique (les temples religieux, les domaines familiaux. les
maisons de commerce). Si des sites ont été sélectionnés pour leur
valeur de modèle (certaines’concessions). d’autres l’ont été pour leur
singularité (par exemple la villa Adjavon). Dans un deuxième temps,
lorsqu’il fut nécessaire de choisir entre plusieurs bàtiments porteurs
d’une même symbolique. nous avons retenu dans une perspective de
développement touristique d’autres critères, notamment la taille du
lieu ou d’un espace particulier (une pièce des morts par exemple).
son état physique (permettant d’envisager sa réfection). ou encore la
présence d’un élément remarquable visuellement (une figure décorative
par exemple).
Enfin, plutôt que d’établir une typologie morphologique. nous avons
classé les sites selon la fonction principale à laquelle ils se réfèrent.
Cah. Sci. t/mJ. 29 (IJ 1993 : 33-S 1
Patrimoine architectural et urbain 35
Bien entendu, certains sites et certains édifices peuvent posséder
plusieurs fonctions; dans ce cas, nous avons retenu la fonction la plus
significative.
Le patrimoine économique
Le patrimoine économique renvoie d’une part à la traite des esclaves,
d’autre part aux autres activités de négoce qui se sont déroulées dans
la ville.
Des différents forts où étaient enfermés les esclaves, ne subsiste que
le fort portugais qui a fait l’objet récemment d’un projet de
restauration financé par la fondation Gulbenkian. Les autres forts
ont disparu au XIX’ siècle, faute d’utilisation. Le fort portugais a
subsisté, même s’il a été profondément remanié, du fait de la présence
jusqu’en 1960 d’un « Résident », qui représentait le Portugal dans ce
pays.
FIG. 1. - Le fort français, détruit au tout début du xx+ sitcle.
État supposé au milieu du XVII? siècle. Croquis réalisé d’après une maquette exposée
dans l’actuel musée historique du fort portugais.
L’économie de traite se manifeste à l’intérieur et à l’extérieur dans
la ville : la « route des Esclaves >p, qui va de Ouidah à la mer, est
ponctuée de sites qui rappellent cette activité. En outre, cet itinéraire
est emprunté par une des plus importantes cérémonies vodoun. Par
ailleurs, l’environnement végétal, qui est particulièrement varié (bois,
champs, lagune? cocoteraie, plage), rappelle l’économie agricole de
la région (pêche. plantation, etc.).
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Alain SINOLI
À quelques kilomètres au nord de Ouidah, le village de Savi évoque
l’histoire de cette région peuplée par l’ethnie houéda avant sa
conquete au XVITI’ siècle par le royaume du Dahomey (cette population
a ensuite émigré à Ouidah). Les traces de la capitale du royaume
houéda ont disparu mais le village de Savi garde des formes d’habitat
tri-3 représentatives du monde rural.
La richesse de Ouidah ayant reposé pendant plusieurs siècles sur le
négoce, il n’est pas étonnant que de nombreuses CCm aisons de
commerce » y aient été construites. Leur style n’est d’ailleurs pas
toujours clairement identifiable dans la mesure où il emprunte a
différentes influences, de meme que la fonction de commerce de
l’édifice n’est pas toujours exclusive. Souvent, une partie de la
construction était réservée à l’habitation. Ces édifices se réfèrent
tantôt a l’architecture brésilienne, par les motifs décoratifs notamment,
tant3 à l’architecture coloniale. par 1”organisation interne et les
modes de construction. Ils sont localisés à proximité des centres de
commerce (marché) et le long des principaux axes de la ville.
Généralement, la présence d’un etage permet de les repérer aisément.
FI<;. 2. - Une maison de commerce du centre-ville, située à proximité du marché,
aux façades décorées à la façon afro-brésilienne.
La disparition progressive du négoce dans la ville a entraîné leur
abandon par les propriétaires d’origine. Lorsque des occupants y sont
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encore installés, ils n’ont ni les moyens ni l’envie de les entretenir et
encore moins de les restaurer. Lorsque les édifices sont vides, le
climat et les chauves-souris détruisent progressivement les couvertures
puis les structures porteuses. Aujourd’hui, partiellement ou totalement
inhabités, ces édifices sont fortement dégradés alors qu’ils impriment
un paysage particulier à la ville.
Le patrimoine religieux
Les temples des vodoun sont l’expression matérielle la plus immédiate
des pratiques religieuses traditionnelles. Leur nombre et leur variété
soulignent la force de ce systeme religieux, perçu de manières diverses ;
ces cultes fonctionnent comme des outils mnémotechniques de l’histoire
sociale et culturelle, et les conflits qu’ils rappellent ou qu’ils
sous-tendent (conflit foncier par exemple) amènent certains habitants
à les craindre et (ou) à les rejeter. Le poids de ce système religieux
dans la vie quotidienne a même entraîné le départ de Ouidauais de
la ville.
Les temples vodoun renvoient à des cultes qui mettent en jeu des
familles ou des communautés plus larges qui souvent dépassent la
ville. Cette hiérarchie dans l’audience ne se manifeste pas nécessairement
dans le nombre ou l’importance des temples : Les cultes les
plus importants de Ouidah ne se déroulent pas dans des temples aux
volumes impressionnants et aux architectures spectaculaires. De
manière générale, le culte des vodoun repose sur une pratique intense
du secret, aussi ne faut-il pas s’étonner que les pratiques qui y sont
associées ne se déroulent pas dans les espaces les plus repérables,
lesquels possèdent principalement une fonction symbolique. En d’autres
termes, une pièce dans une concession, un arbre, un coin de
mur peuvent avoir dans certains cas une valeur beaucoup plus forte
dans une pratique religieuse que le temple censé représenter ce culte.
Les autres religions présentes se manifestent par des formes plus
« classiques ». Les missions catholiques se sont installées sur cette
côte dans cette ville ; elles ont fait édifier, en 19CM. une basilique,
qui eut un temps la fonction de cathédrale, et, à l’extérieur de la
cité, un grand séminaire qui accueille aujourd’hui encore des séminaristes
de plusieurs pays africains. Ces édifices aux masses imposantes
sont bien entretenus par un clergé toujours très présent dans cette
région. Le temple protestant de la ville est bien moins remarquable.
Cette religion est peu présente du fait de la colonisation française
qui a favorisé la diffusion du catholicisme. A ces constructions,
s’ajoutent des bâtiments relevant d’églises plus autonomes (Christianisme
céleste, etc.), qui témoignent de la vivacité des cultes syncrétiques,
partout présents le long de cette côte. Ces édifices se
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distinguent par une ornementation aux couleurs vives et parfois par
des fresques murales et des sculptures en ciment.
FIG. 3. - Vue cavalike d’un temple vodoun, ici le temple des divinitts Mahou et Adimoula
(les toits ont été enlevés). Le temple se présente comme une vaste concession
air l’on distingue une zone réservee au culte et une zone d’habitation
où réside avec sa famille le responsable du culte.
L’islam, très présent aujourd’hui le long de la côte à partir de Porto-
Nov0 en direction de l’est (royaume Yoruba) s’est peu développé à
l’ouest de cette ville et notamment à Ouidah. La communauté
musulmane est peu nombreuse et de surcrolt divisée. ce qui explique
l’état d’inachevement de la grande mosquée, dont les travaux ont
débuté vers 1930 et qui rappelle dans ses formes celle de Porto-Novo
d’inspiration afro-brésilienne.
Le patrimoine politique et administratif
La ville de Ouidah ne fut jamais, à proprement parler, un centre
politique et on ne trouve pas d’espace politique mais des bjtiments
administratifs, à l’exception du domaine du « Yovogan »* le gouverneur
de Ouidah pendant la domination du royaume du Dahomey.
Ce domaine marquait la présence et la puissance de ce royaume,
même si plusieurs Yovogan tentèrent de s’émanciper de la tutelle du
roi et acquirent un statut de chef politique au niveau de la ville. La
présence d’un tribunal et de prisons dans cette vaste concession
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Patrimoine architectural et urbain 39
atteste de ce pouvoir que l’administration coloniale supprima à la
suite de la conquête du royaume. Le domaine qui s’étendait à
proximité du temple aux pythons fut rasé et occupé par les missionnaires
catholiques qui y firent construire la basilique. Aujourd’hui,
ne sont remarquables que les bâtiments administratifs construits
pendant la période coloniale et localisés pour la plupart dans une
zone à l’ouest de la ville et autour de la place du fort français.
Ces édifices témoignent des différents styles de l’architecture coloniale.
Au début du siècle, les Européens. pour se protéger du climat, font
édifier de larges vérandas tout autour des corps d’habitation. Le long
de la côte africaine où le bois est abondant et adapté, ils font
construire par des menuisiers locaux (afro-brésiliens d’origine ou
formés par ceux-ci dans le cas du Bénin) des cloisons à claire-voie
particulièrement caractéristiques (comme à Grand-Bas§am en Côted’ivoire).
À Ouidah. l’ancienne résidence en est le meilleur témoignage.
Les autres édifices sont remarquables par leur larges vérandas
et par leur mode de construction (matériaux importés. toitures en
pentes, pièces aux tailles identiques), que l’on retrouve dans toutes
les anciennes villes coloniales d’Afrique, et qui contraste tant avec
les formes traditionnelles. Les bâtiments des années cinquante sont
moins originaux d’un point de vue architectural ; à cette époque, on
ne construit plus de vérandas, trop coûteuses en matériaux. La
protection climatique est assurée par des fenêtres à pare-soleil et des
ventilateurs, installés dans les pièces principales.
Ces bâtiments qui conservent souvent des fonctions administratives
ont parfois une connotation péjorative ; ils symbolisent l’ère coloniale
et plus généralement, comme le disent les Béninois avec une
pointe de dédain, le « vieux ». Les fonctionnaires béninois aspirent
aujourd’hui à résider et à travailler dans des édifices modernes. Ce
goût de la construction neuve est aussi favorisé par les retombées
« indirectes » que peut susciter la mise en chantier de nouveaux
bâtiments. À Ouidah, plusieurs édifices administratifs ont été récemment
construits alors que dans le même temps des bâtiments coloniaux
ont été désaffectés et se dégradent.
Le patrimoine domestique
Une visite rapide des concessions à Ouidah ne fait pas apparaître
une différence très visible entre ces maisons formées de bâtiments en
terre et d’édifices en dur et celles d’autres villes voisines. On note la
disparition progressive de l’utilisation de la terre au profit du parpaing,
phénomène remarquable dans toutes les villes d’Afrique de l’Ouest.
En outre, la dégradation de nombreux édifices anciens s’explique par
la disparition des activités économiques et par le rejet de pratiques
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considérées comme rétrogrades (la construction en terre) dans la
société africaine contemporaine. Faut-il en conclure cependant que
l’habitat à Ouidah n’est simplement qu’une illustration des problèmes
du logement dans les villes africaines?
Les concessions
Cette analyse serait insuffisante même si elle n’est pas fausse en
soi. Les concessions de Ouidah possèdent souvent une dimension
patrimoniale que l’on ne rencontre pas dans la plupart des autres
villes. L’ancienneté de la cité et l’importance des cultes vodoun
expliquent cette particularité. Ces concessions, qualifiées de « maisons
mères », sont les lieux d’ou les lignages sont censés ètre originaires.
Elles n’abritent pas tous ses membres, dispersés depuis parfois
plusieurs générations et aujourd’hui, le plus souvent, elles ne sont
habitées que par quelques vieillards de la famille qui font office de
gardiens. Cependant, à l’occasion des cérémonies familiales, qui se
déroulent sur quelques jours dispersés dans l’année. ces concessions
se peuplent des dizaines de représentant du lignage.
Le lien entre un espace et une famille se lit dans la concession de
diverses façons. Le signe le plus visible est la présence de pièces à
usage de temples où sont installés les autels des ancêtres célèbres et
divinisés et les autels des vodoun familiaux. À cela. s’ajoutent les
pièces et les cours réservées aux cérémonies et les pièces cimetières
où étaient autrefois enterrés tous les membres du lignage. Cet
ensemble de pièces et de cours peut occuper une part importante de
la concession et composer parfois un espace isolé qui n’est accessible
qu’aux prètres et aux initiés.
Aujourd’hui, maisons cc sanctuaires >> plutôt que maisons d’habitation
où l’on compte souvent plus de morts que de personnes demeurant
dans la concession, ces édifices, lorsqu’ils n’ont plus que cette fonction,
sont à l’image des tombes dans les cimetières. Les familles se cotisent
pour entretenir les espaces sacrés (pièces de cultes. pièces cimetières)
et se désintéressent généralement des espaces d’habitation.
La hiérarchie sociale au sein de la ville se lit aussi à travers
l’importance accordée à ces lieux. Les plus riches familles ont élevé
des bâtiments à étage pour les cérémonies et ont carrelé les pièces
funéraires tandis que les plus pauvres se sont contentées d’affecter
des petites pièces à cette fonction. Mais, dans tous les cas, les pièces
destinées aux morts, construites avec des matériaux pIus durables que
celles destinés aux vivants, sont mieux entretenues.
Les maisons familiales ne sont pas des espaces désaffectés, au
contraire: elles rappellent à tous les membres du lignage l’unité
originelle revivifiée par les cérémonies vodoun. Il faut donc considérer
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Patrimoine architectural et urbain 41
qu’une part importante de l’habitat à Ouidah s’adresse non pas aux
vivants mais aux morts et qu’une démarche de réhabilitation doit
intégrer cette dimension des choses.
Cette dimension n’est pas présente de manière uniforme dans toutes
les concessions. Celles qui n’ont que cette fonction sont relativement
peu nombreuses à l’échelle de la ville, et sont concentrées dans les
quartiers anciens. Souvent, d’autres membres de la famille peuvent
y résider et augmenter le nombre des vivants qui ne sauraient
cependant faire oublier les morts. Dans certaines concessions. le passé
est moins présent : on ne trouve pas de cimetières et de pièces aux
autels familiaux, mais on remarque presque toujours un temple aux
vodoun domestiques et quelques autels plantés dans le sol de la cour
qui rappellent certains proches ou lointains ancêtres. Enfin, une
maison vide de signes familiaux et religieux et d’habitants n’est pas
pour autant désaffectée. Elle peut être occasionnellement occupée
lors d’une cérémonie familiale. Son état d’abandon n’est souvent que
le signe de désaccords entre les différents segments de lignage qui
ont depuis longtemps quitté la ville et qui n’ont pu trouver un
compromis pour entretenir la maison d’origine.
Poser la question de la réhabilitation dans ce contexte s’avère délicat.
Pour essayer de se représenter la situation, il faut peut-être s’imaginer
que nous avons affaire à une vaste cité nécropole où de nombreuses
maisons sont des monuments funéraires sous le régime de la propriété
indivise. Cette vision est sans doute extrême mais il vaut sans doute
mieux la surévaluer ici plutôt que d’imaginer que cette dimension
funéraire est secondaire et en voie de disparition. Elle nous semble
au contraire première et n’est pas nécessairement péjorative et
morbide. L’exemple des cimetières du Caire devenus aujourd’hui des
quartiers d’habitation à part entière montre que la cohabitation des
morts et des vivants est possible dans différentes sociétés.
Les villas
La villa se différencie de la concession par l’existence d’un bâtiment
construit en une seule fois à partir d’une organisation spatiale préétablie
et produisant une forme immédiatement identifiable. En cela,
elle résulte de l’installation en Afrique de populations influencées par
les modèles occidentaux.
À Ouidah, ce sont les Afro-Brésiliens qui ont importé cette fac;on de
construire et qui ont édifié des maisons dont la forme, l’organisation
spatiale et la décoration rappellent les pratiques des propriétaires
terriens au Brésil, pratiques elles-mêmes influencées par les modèles
d’habitat des nobles au Portugal aux XVII’ et XVIII~ siècles. Ce type de
construction s’est développé au Bénin à la fin du XIX~ siécle et au
Cah. Sci. Hum. 29 (1) 1993 : 33-51
début du xx“ (jusqu’aux années quarante), c’est-à-dire à une époque
où les Afro-Brksiliens constituaient un groupe politique et économique
puissant, au point d’ériger leur mode de vie en modèle.
Construire à leur manière fut pendant longtemps une mode a laquelle
cédèrent de nombreux Béninois. De ce fait, s’est développé un style
« afro-brésilien ,> dans l’habitat, particulièrement remarquable dans
les villes et les villages côtiers. Ce style, en se développant, s’est
limité à une pratique décorative, les Africains n’ayant ni l’envie ni
les moyens de se faire construire d’imposantes maisons. 11 n’est pas
rare de voir dans une concession un bâtiment orné de moulures
autour de la porte et des fenêtres et revêtu d’un crépis coloré,
généralement dans des tons orangés, sur sa façade principale.
Aujourd’hui, cette pratique a disparu et l’on voit apparaître, depuis
les années soixante-dix. une nouvelle mode de villa. la « villa
Yoruba », construite généralement par de riches commerçants qui
s’inspirent de l’architecture domestique des riches Saoudiens. découverte
à l’occasion du pèlerinage à La Mecque. On ne trouve à Ouidah
que quelques exemplaires de ces villas, les musulmans étant peu
nombreux.
La tradition constructive afro-brésilienne, particulièrement forte dans
les villes cotières, Ouidah. Porto-Novo, Lagos, Lomé, etc., demeure
encore très visible dans les deux première.s. Lomk et Lagos sont
devenus capitales et les anciennes bâtisses ont été progressivement
remplacées par des immeubles de plus grande taille. D’une certaine
manière, c’est le déclin politique et économique des petites villes qui
a permis de conserver ce patrimoine. De la même manière. c’est
souvent l’absence de pratique d’entretien de ces édifices qui permet
d’en comptabiliser encore autant aujourd’hui. En effet, il semble que
cette pratique décorative ait disparu vers 1950 ; nous n’avons pu
trouver dans la ville qu’un seul artisan qui la connaissait mais ne
l’avait pratiquée que lorsque officiait son père, maçon egalement. Si
les Ouidanais ne supportaient pas la dégradation physique des
façades et avaient l’habitude de les refaire régulièrement, ces signes
architecturaux auraient depuis longtemps disparu. Néanmoins, il faut
noter que de nombreuses façades sont au bord de l’écroulement et
que les motifs décoratifs lorsqu’ils se cassent ne sont pas remplacés.

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